L’opposant antisystème sénégalais Bassirou Diomaye Faye pourrait être proclamé définitivement vainqueur de la présidentielle d’ici à la fin de la semaine, parachevant une ascension extraordinaire et express jusqu’au sommet de l’État.
La présidence sénégalaise a publié jeudi des photos d’un nouveau moment hors du commun dans une séquence qui n’en a pas manqué en deux mois de crise : l’accueil au palais présidentiel de M. Faye par le sortant Macky Sall. M. Faye était accompagné de son mentor Ousmane Sonko.
MM. Sonko et Faye ont livré pendant trois ans au pouvoir de M. Sall un combat farouche qui a fait des dizaines de morts et les a conduits pour plusieurs mois en prison, avant leur libération en pleine campagne électorale mi-mars.
Les photos montrent les trois hommes souriants en train de se saluer et M. Faye poser la main sur l’épaule de son futur prédécesseur.
La présidence a parlé de « rencontre empreinte de courtoisie au cours de laquelle (MM. Sall et Faye) ont discuté en profondeur des grands dossiers de l’État, ainsi que de la cérémonie de prestation de serment et de passation de service ». C’est « le début d’une transition politique significative », a-t-elle dit.
Après des semaines de confusion qui ont fait craindre un report de l’élection jusqu’à décembre ou une vacance du pouvoir, l’appareil s’emploie à rétablir à marche forcée la norme de transition réglée qui caractérise le pays et à rendre possible une passation conforme à la tradition entre le sortant Macky Sall et son successeur d’ici à la semaine prochaine.
L’organe chargé de proclamer les résultats finaux provisoires les a rendus publics mercredi alors qu’il avait jusqu’à vendredi pour le faire. L’opposant antisystème, M. Faye, qui était encore en prison il y a deux semaines, l’a emporté dès le premier tour dimanche avec 54,28 % des voix, loin devant le candidat du pouvoir Amadou Ba (35,79 %).
Au tour du Conseil constitutionnel maintenant d’examiner d’éventuels recours de candidats et de déclarer M. Faye définitivement vainqueur, ou d’annuler l’élection, hypothèse hautement invraisemblable.
Au lieu des 72 heures normalement prévues, le Conseil a donné à tout contestataire jusqu’à jeudi minuit pour se manifester, probablement pour faire en sorte qu’une passation ait lieu avant le 2 avril, date officielle de fin du mandat de M. Sall.
Dernier conseil
Le président Sall a causé une commotion en décrétant le report de la présidentielle initialement prévue le 25 février et finalement fixée au 24 mars. En plus de l’agitation qu’il a causée, cet ajournement a comprimé les délais et semé le doute sur la possibilité d’une passation avant l’expiration de son mandat.
Un transfert dans les temps importe dans un pays qui s’enorgueillit de ses pratiques démocratiques et qui est considéré comme l’un des plus stables en Afrique de l’Ouest secouée par les coups d’État.
En l’absence de contestation, le Conseil constitutionnel pourra proclamer « immédiatement les résultats définitifs du scrutin », dit la Constitution.
Or les adversaires de M. Faye ont reconnu sa victoire et aucun n’a jusqu’alors exprimé publiquement l’intention de soulever d’objection. Les résultats provisoires paraissent rendre la victoire de M. Faye irréfutable tout en confirmant la magnitude de ce qui s’apparente à un séisme politique.
Bassirou Diomaye Faye est le premier opposant à l’emporter dès le premier tour depuis l’Indépendance en 1960.
Jamais porté à une fonction élective nationale auparavant, il devrait devenir à 44 ans le cinquième et plus jeune président du pays de 18 millions d’habitants.
Son avènement pourrait annoncer une profonde remise en cause systémique. Il se présente comme l’homme de la « rupture » avec douze années de présidence Sall, du rétablissement d’une « souveraineté » bradée selon lui à l’étranger, et d’un « panafricanisme de gauche ». Il fait vœu de combattre la corruption et l’injustice.
Le président Sall a présidé mercredi ce que ses services ont qualifié comme son « dernier » conseil des ministres. Il a demandé au gouvernement de « prendre toutes les dispositions requises » pour préparer les dossiers de passation, en vue de « l’installation dans les meilleures conditions » du nouveau président.
Les trois dernières années de la présidence Sall ont été marquées par les retombées des crises globales, un farouche bras de fer avec l’opposition antisystème et les troubles intérieurs.